Les musiciennes dans le texte

On me formait pour les talents…”

Voici un court extrait des mémoires de la Mar­quise de Fer­rières (1748–1837), qui jette un éclai­rage sur la pro­blé­ma­tique de l’éducation musi­cale des filles…  et qui per­met de ren­con­trer au pas­sage deux dames orga­nistes, les demoi­selles FROMENT.
Au début de cet extrait, on est en 1760, Hen­riette de Mon­bielle d’Hus a douze ans et vient de pas­ser deux ans à Fon­te­vraud. Elle revient dans la mai­son pater­nelle, à Thouars.
Syl­vie Gran­ger (Uni­ver­sité du Maine)

Comme j’avais de la voix et appris la musique, il fal­lut s’occuper à me faire conti­nuer la musique, mais il n’y avait pas alors de maître dans la ville [Thouars], et, après avoir bien fait des recherches, on pensa à me trou­ver une maîtresse.

Il y avait, logées dans le châ­teau appar­te­nant au duc de la Tré­mouille, une dame et deux de ses filles qui, ayant été atta­chées à cette mai­son pen­dant long­temps (je ne sais en quelle qua­lité), avaient eu une pen­sion et un loge­ment dans une aile du châ­teau. Les deux filles étaient musi­ciennes et orga­nistes des deux orgues de la ville ; elles avaient reçu une bonne édu­ca­tion et ne fai­saient point d’écolières. Mais on sol­li­cita beau­coup l’aînée de me conti­nuer la musique et enfin elle y consen­tit ; mais, comme elles avaient une for­tune très bor­née, elles ne pre­naient pas de domes­tique et fai­saient, cha­cune leur semaine, le petit ménage, ce qui fit que pen­dant une semaine Made­moi­selle Fro­ment venait me don­ner sa leçon chez moi et, la semaine sui­vante, il fal­lait que je fusse à mon tour la prendre chez elle, ne pou­vant quit­ter sa mère qui était aveugle et sa sœur étant occu­pée à son ouvrage comme bro­deuse ou autres tra­vaux. J’étais conduite chez ma maî­tresse par une jeune femme de chambre de dix-huit ans, et, comme la dis­tance était éloi­gnée, que le châ­teau avait de belles pro­me­nades, sou­vent, la leçon pas­sée, nous allions cou­rir comme deux enfants, sauf à être gron­dées au retour.

Deux ans se pas­sèrent promp­te­ment ; j’avais des maîtres de danse, d’écriture et de viole, on me for­mait pour les talents, mais mon esprit res­tait sans aucune culture ….

Hen­riette de Mon­bielle d’Hus, Mar­quise de Fer­rières (1748–1837), Mémoires,
pré­sen­tés et anno­tés par Hélène Mathu­rin, pré­face de Nicole Pel­le­grin, Les Gor­gones, 1998, 108 pages, p.7–8.